Les normes constituent en effet une référence dès qu’il s’agit de faire évoluer les lois et règlements. Tôt ou tard, la norme européenne se traduira donc dans nos règles françaises. L’Hexagone étant à ce jour le second créateur de normes en Europe, et l’un des quatre pays les plus influents à ce stade, on comprend tout son intérêt à se trouver à la table des « fondateurs » du projet de bonnes pratiques de tatouage. L’AFNOR l’a bien compris, et a veillé à rassembler un maximum d’acteurs du tatouage ou supposés comme tels. Si le Syndicat National des Artistes Français est désigné comme le représentant principal des tatoueurs français dans la future commission française auprès du CEN, il n’est pas le seul « acteur » à avoir été sollicité par AFNOR ; professionnels du tatouage, associations, organismes de formation, fournisseurs… Tous ne partagent pas la même vision ou approche du métier, parfois même à l’opposé du S NAT, mais c’est précisément une condition au consensus défendu par AFNOR comme gage d’objectivité.
Participer… à quel prix ?
L’aspect financier a évidemment une grande part dans le débat. Si autant d’acteurs potentiels sont conviés à participer à la commission française, ce n’est pas seulement pour garantir le consensus… C’est aussi pour tenter de réunir le financement des trois ans de prestations d’accompagnement et de gestion de la commission. Des prestations qu’AFNOR facture de 75 000 à 100 000 euros au total selon les modalités choisies, soit grosso modo 30 000 euros par an… ça fait mal ! Imaginez les discussions au sein du SNAT, dont l’avis même du bureau est allé du rejet à l’approbation en passant par le doute. Désormais convaincu qu’il est préférable d’agir sur la norme plutôt que de la subir, il a tenu compte de l’engagement financier annoncé par la DGS le 20 janvier dernier. Cette participation du ministère de la Santé est historique, même si elle s’est fait attendre ! Le SNAT a finalement opté pour un prélèvement d’une partie de la cotisation annuelle de ses adhérents, leur permettant ainsi de participer au projet sans devoir encore mettre la main à Sa poche. À l’heure où ce numéro est dans les kiosques, nous devrions savoir si le budget a pu être atteint, et la création de la commission confirmée…
Quel intérêt pour le tatoué ?
Difficile à déterminer du point de vue de l’auto-certification… On peut imaginer que les studios choisissant cette option pourraient bénéficier d’une meilleure visibilité auprès du client lambda, qui pourra y attribuer une forme de confiance. On reste sceptique sur cet aspect, eu égard à notre réglementation se situant parmi les plus exigeantes, et au fait que la norme pourrait difficilement durcir. Il semble que l’intérêt principal pour les tatoués se positionne davantage dans la perspective de voir les pratiques et les règles s’harmoniser au niveau européen, avec un renforcement de la sécurité sanitaire sur l’ensemble du territoire et un accueil facilité aux artistes étrangers dans nos studios et sur nos conventions internationales. La lutte contre le tatouage clandestin, qui n’est pas un fléau propre à la France, est également en question.
Entre interrogations et craintes
A l’annonce du projet côté français, ce sont d’abord les montants du financement AFNOR qui sont apparus disproportionnés considérant notre réglementation existante. L’implication significative de la DGS a contribué à changer la donne sur ce point. L’inquiétude des pros quant à une obligation de certification a ensuite été balayée par la garantie d’une procédure autonome et volontaire. Dans la foulée, la crainte la plus légitime concerne l’évolution de nos réglementations, et c’est là tout le pari d’une participation active de la France ; éviter de devoir subir de nouvelles règles chamboulant les habitudes de travail tout en défendant les nôtres, moyennant des adaptations utiles. Norme, AFNOR, Conseil européen… Ces notions encore mal perçues suscitent aussi des réactions épidermiques, avec l’idée persistante que toute cette machine ne servira à rien… Ou bien au contraire favoriserait la recrudescence de tatoueurs « sauvages »… Ou encore ne constituerait qu’un moyen de contrôler, pénaliser et taxer toujours plus les professionnels. Une attitude défensive bien compréhensible, que surmontera peut-être la volonté de continuer à défendre les conditions de travail des tatoueurs, comme ils l’ont fait en 2005, en 2008 et en 2013 !
Calendrier
La toute première réunion du CEN s’est tenue à Berlin le 5 décembre 2014, sans la France. Le 20 janvier 2015, AFNOR a réuni les acteurs potentiels d’une commission française. À cette occasion, la DGS a annoncé son engagement financier. Une seconde rencontre française a été organisée le 16 mars dernier. La création de la commission AFNOR se précise, mais dépend encore du bouclage du financement. À l’heure où vous lisez ces lignes, la seconde étape du CEN a été franchie à Berlin le 17 avril 2015, avec la présence d’une délégation française, Prochain rendez-vous pour les Français : le 15 juin au siège de l’AFNOR.